TRUMP, FASCISME, LA GAUCHE
par Claudio Bazzocchi
Il existe une interprétation très répandue de la victoire de Trump, également partagée par Bernie Sanders et l'aile la plus radicale des démocrates américains, selon laquelle les démocrates s'éloignent de plus en plus de ce qui devrait être leur base principale afin d'épouser des questions perçues comme absconses par cette même base : crise climatique, droits civils, etc. Cette interprétation repose également sur une sorte de politique du deux-temps, selon laquelle il faut d'abord garantir les revenus et les services sociaux, puis penser au reste. La première moitié est également considérée comme le seul moyen de vaincre le fascisme, non seulement en Amérique, mais aussi dans le reste du monde.
En revanche, l'idée des deux plans doit être remise en question. Nous devrions alors savoir que le bien-être matériel des travailleurs a contribué, dans les trente glorieuses du compromis social-démocrate, à lier de plus en plus les classes subalternes aux biens de consommation et donc aux valeurs et à la vision du monde du capital et de la production industrielle. Aujourd'hui, nous avons de merveilleuses villes polluées (causant des milliers de décès par cancer chaque année), détruites dans leur tissu conjonctif, habitées par des millions d'atomes consommateurs parce que, dans la période d'après-guerre, la voiture a été choisie comme pivot de la mobilité et du développement industriel lui-même. On aurait pu choisir une autre idée du transport et une autre idée de la ville, mais les travailleurs ont été intégrés dans la pensée dominante grâce au fait qu'ils pouvaient être indemnisés en ayant ces mêmes voitures. Ce n'est pas un hasard si aujourd'hui, même la gauche dit que la production d'acier est stratégique pour un pays et qu'il faut donc nationaliser les aciéries. Mais la question « produire de l'acier pour faire quoi » n'est posée par personne. Le but ultime de la gauche est de décréter une sorte de souverainisme plus ou moins dur, pour lequel la gauche doit avoir une production stratégique et non la question démocratique : pour faire quoi, pour quels besoins, pour quel type de vie et de socialité ? Bref, il n'y a pas deux plans. Il n'y a qu'un seul plan si l'on veut encore partir des questions fondamentales.
Prenons un autre exemple. Ces dernières années, on a beaucoup parlé des travailleurs qui se battent pour défendre leurs emplois, qui discutent des politiques industrielles, des nouvelles technologies pour produire durablement et créer de nouveaux emplois. Nous admirons ces travailleurs, leur défense tenace de leur emploi. Pourtant, il y a quelque chose qui fait tilt. On pourrait et on devrait en effet exiger moins de travail et réparti entre plus de travailleurs grâce aux nouvelles technologies. On pourrait demander moins de machines à laver, moins de voitures et moins d'acier, moins de temps de travail et plus de répartition du travail précisément grâce aux nouvelles technologies qui peuvent rendre la production industrielle de moins en moins intrusive dans nos vies afin de les libérer, de les rapprocher de ce qui fait une vie vraiment humaine : comprendre avec d'autres le mystère de notre être dans le monde, produire des objets, des institutions et des œuvres pour élaborer collectivement ce mystère. Et la possibilité de décider collectivement quoi produire et pour quels besoins, combien de temps consacrer au travail et combien à la contemplation, comment établir une mesure acceptée par tous qui rende les salaires équitables s'appelle la démocratie et porte aussi en elle la question de la justice sociale sur un plan unique.
Le plan d'action est également unique en ce qu'il aborde l'émergence de plus en plus inquiétante des droites fascistes et anti-système. Le fascisme n'est pas la protestation des « pauvres » contre la gauche qui ne les protège pas, et une bonne loi de finances ou quelques nationalisations ne suffisent pas à y remédier. Le fascisme est le rêve d'un leader et d'un système qui sature toutes les significations, qui donne une réponse à ce mystère humain si difficile à traiter en raison de l'insécurité qu'il génère dans la vie de chacun d'entre nous. Le fascisme est la sécurité, la réponse, l'illusion de savoir qui nous sommes, la construction d'une origine qui n'est jamais donnée à l'homme, sous peine de la fin de la liberté et donc de son élaboration continue dans la démocratie de sa propre inconsistance ontologique. La gauche devrait donc partir précisément de ce mystère pour offrir une proposition plus fascinante que la proposition fasciste. Et quelle pourrait être cette proposition ? La proposition d'une vie où l'on peut élaborer avec d'autres, en démocratie, l'échec et la défaite d'une origine qui ne peut jamais être atteinte, mais qui peut être approchée, qui peut devenir l'objet d'un art, d'une pensée, qui peut être une force spirituelle et politique pour la démocratie, pour concevoir un monde moins esclave de la production industrielle et plus libre de se penser comme des êtres qui, à la différence de tous les autres êtres vivants, sont dotés d'une conscience de soi et ne peuvent s'empêcher de se demander pourquoi ils vivent et pourquoi ils meurent. C'est pourquoi s'interroger sur l'acier ou sur le sens de la justice sociale comme mesure partagée du salaire du travail de chacun n'est pas un projet différent : c'est déjà la démocratie qui nous rend heureux de réfléchir sur nous-mêmes, de partager avec d'autres la même fragilité existentielle et ontologique dans la « chaîne sociale » à la Leopardi, de créer des institutions et des sphères sociales libres et libérées de la production industrielle pour penser notre être dans le monde. Ceux qui pensent pouvoir battre la droite avec une « finance pour le peuple » sont dans l'illusion. Le fascisme est battu avec le rêve de quelque chose qui est aujourd'hui aussi concret que jamais grâce aux nouvelles technologies qui peuvent réduire le temps de travail et grâce au fait que la gueule de bois consumériste néolibérale n'a pas réussi à vaincre le réel. C'est-à-dire qu'il n'a pas vaincu la question fondamentale gravée dans le cœur de l'homme : que fais-je dans le monde et d'où viens-je ? Le fascisme répond toujours. La gauche bégaie.
Pour conclure, je tiens à réaffirmer qu'il n'y a pas deux plans. En effet, on peut se demander : s'il y a une vraie démocratie au moment où tout le monde peut avoir un haut niveau d'éducation et des conditions de vie décentes ou dans le processus où les valeurs de l'éducation pour tous et de la redistribution des ressources sont socialement établies ? Et à quel moment la planète on le sauve : lorsque tout le monde peut accéder à l'éducation, avoir un logement et un emploi sûr, ou au moment où l'on décide de sortir de la logique de la domination et d'accepter la limite de la condition humaine et donc de ne plus penser à l'exploitation illimitée de la nature. Le cercle est évidemment vicieux et tragique en ce sens qu'il n'a pas de solution. D'une part, on choisit démocratiquement quand on est en mesure de le faire en termes de conscience et de conditions matérielles adéquates - donc d'éducation et de bien-être - et, d'autre part, la démocratie est le processus d'instauration sociale de ces mêmes valeurs d'éducation et de bien-être pour tous. L'être humain ne peut sortir de ce cercle tragique, et ceux qui font appel au socialisme doivent essayer d'y rester en promouvant, d'une part, la réflexion philosophique sur son indétermination ontologique et, d'autre part, en œuvrant pour assurer une vie décente et un niveau élevé d'éducation pour tous.
Avec l'idée des deux plans, on quitte la relation entre politique et philosophie pour entrer dans celle, typiquement néolibérale (et aussi sociale-démocrate) de notre époque, qui envisage la séparation de la politique et de la philosophie et une anthropologie très maigre et finalement de droite.
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