Alberto Negri - La médiation américaine ? Un banquet d'aide militaire
ISRAEL/PALESTINE. Nous saurons dans quelques jours si le voyage de Joe Biden a été un échec complet au regard de deux objectifs : "contenir" l'armée israélienne et éviter une conflagration régionale.
https://ilmanifesto.it/la-mediazione-usa-un-banchetto-di-aiuti-militari
par Alberto Negri
20 Octobre 2023
Quel est le résultat de la médiation de Joe Biden au Proche-Orient ? Un nouveau banquet d'aide militaire destiné à relier stratégiquement le Moyen-Orient à l'Ukraine et à l'Extrême-Orient. Comme le prévoyaient les chaînes de télévision américaines, M. Biden a annoncé dans la nuit, depuis la salle ovale, une demande de la Maison Blanche au Congrès pour plus de 100 milliards de dollars destinés à la fourniture d'aide et de ressources militaires à l'Ukraine (60), à Israël (40) et à Taïwan, ainsi qu'au renforcement de la frontière entre le Mexique et les États-Unis. Ce dernier a entre-temps opposé son veto au Conseil de sécurité de l'ONU sur la proposition de trêve humanitaire. Le président affirme que les conflits en Ukraine et en Israël sont des questions de sécurité nationale pour les États-Unis. Dommage qu'alors en pleine rencontre entre Poutine et Xi Jinping, personne à Washington ne soit en mesure d'expliquer pourquoi Israël n'impose pas de sanctions à Moscou et pourquoi Netanyahou maintient depuis des années le pacte avec la Russie qui lui permet de bombarder le Hezbollah et les Pasdarans iraniens en Syrie.
SI LE VOYAGE DE BIDEN A ÉTÉ UN ÉCHEC COMPLET, nous le saurons dans quelques jours au regard de deux objectifs. Le premier est de contenir l'armée israélienne. Biden ne remet certainement pas en cause le droit d'Israël à se défendre, mais il lui demande de respecter le droit de la guerre. Le second objectif est d'éviter une conflagration régionale. L'engagement militaire américain dans la région - deux porte-avions en Méditerranée orientale, des bombardiers en Jordanie et des soldats prêts à intervenir - est un message à l'Iran : l'ouverture d'un front nord avec le Hezbollah serait lourde de conséquences. La réalité du Moyen-Orient a explosé sous ses yeux. Les roquettes sur l'hôpital de Gaza qui ont provoqué un massacre ont fait capoter le sommet d'Amman avec le roi hachémite Abdallah, le chef du CNP Abu Mazen et le général-président égyptien Al Sisi - un sommet déjà compliqué par la réaction aux raids indiscriminés sur les civils palestiniens. Biden est définitivement un médiateur qui a échoué. Et cela fait des années que les États-Unis ne sont plus un médiateur crédible au Moyen-Orient. Alors que les places arabes s'enflammaient contre Israël et ses alliés, les dirigeants arabes tournaient le dos à Washington et à sa politique ratée de ces dernières années, qui, à partir de Trump, avait reconnu Jérusalem comme capitale d'Israël, favorisé le soi-disant "pacte d'Abraham" entre les puissances arabes et Tel-Aviv, et même complètement effacé la question palestinienne, comme si elle n'avait jamais existé depuis 1948.
S'il est difficile d'effacer le passé, il l'est encore plus d'éliminer les souvenirs les plus récents des échecs américains et occidentaux au Moyen-Orient, de l'Afghanistan à l'Irak, de la Syrie à la Libye, avec une profondeur stratégique allant du golfe Persique au Sahel, en passant par la Corne de l'Afrique, le Soudan et la Somalie. Ceux qui ont vu ces passages dramatiques sur le front de la guerre les connaissent bien. Seule l'arrogance, ou l'ignorance, peut laisser penser que les Arabes ne l'ont pas remarqué.
Le monde arabe réagit donc. Le plus sévère, en fait, a peut-être été le général Al Sisi (qui a reçu hier le Premier ministre britannique Sunak), l'ennemi juré des Frères musulmans (mais aussi de l'opposition démocratique) qui, en décembre, a convoqué des élections présidentielles anticipées. Fait non négligeable, l'Egypte est, après Israël, le deuxième bénéficiaire de l'aide militaire américaine au Moyen-Orient et l'un des Etats de la région qui entretient des relations cordiales avec la Russie de Poutine. L'Egypte n'a pas l'intention d'accueillir les déplacés fuyant la bande de Gaza et a décidé de convoquer un sommet international samedi pour discuter de l'avenir de la question palestinienne.
AL SISI EST CLAIR : nous ne voulons pas voir ce qui s'est passé en 2008, lorsqu'au cours d'un nouveau blocus de la bande de Gaza, les hommes du Hamas ont démoli 200 mètres du mur frontalier qui constitue le point de passage de Refah. Un fleuve d'environ 350 000 Palestiniens a réussi à passer en Égypte pour échapper au blocus appliqué par Israël six mois plus tôt, alors que les miliciens du Hamas eux-mêmes, dans une démonstration de force, avaient pris le contrôle de toute la bande de Gaza. Il n'y a pas de diplomatie qui tienne lorsque la survie des dirigeants arabes est en jeu. "S'il y a une idée pour déplacer la population de Gaza, il y a le désert du Néguev en Israël", a déclaré M. al Sisi lors de la conférence de presse avec le chancelier Scholz. L'éventuel déplacement en Égypte des quelque 1,1 million de Palestiniens fuyant la partie nord de la bande de Gaza "sera suivi par le déplacement des Palestiniens de Cisjordanie vers la Jordanie", a ajouté le dirigeant égyptien qui, en pleine campagne électorale, ne peut pas céder un pouce.
Le SEUL OBJECTIF stratégique de Tel Aviv, partagé à ce stade par les Américains, outre l'élimination du Hamas, est de jeter les Palestiniens dans le désert égyptien du Sinaï. Et si Israël n'occupe pas la bande de Gaza, vidée de la moitié de sa population, à qui ira cette bande de Palestine ? À une Autorité nationale palestinienne discréditée ? À un protectorat de l'ONU de type kosovar ? Personne ne peut le dire, car entre Washington et Tel-Aviv, personne n'a la moindre idée stratégique de ce qu'il faut faire, si ce n'est chasser les Palestiniens avec le Hamas.
Même les Américains ont remarqué cette abomination. Richard Haas, président du conservateur Council of Foreign Relations, écrit : "Les Etats-Unis doivent regarder au-delà de la crise en faisant pression sur les Israéliens pour qu'ils offrent aux Palestiniens une voie pacifique et viable vers la création d'un nouvel Etat". Rien de plus, rien de moins.
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