Trop tôt Sahra

 

par Alessandro Visalli

source : https://www.facebook.com/1128040659/posts/10226064977747481/

Un projet d'accord entre le SPD, la Cdu et le Bsw (formation de Sahra Wagenknecht) en Thuringe pour diriger conjointement le Land aurait été finalisé hier. Bien entendu, il ne s'agit que d'un projet qui devra être approuvé par les membres du Sdp (ce qui est loin d'être acquis) et par les secrétariats de la Cdu et du Bsw.

Sur la question principale de notre temps, l'arrêt de l'offensive impérialiste occidentale contre le monde multipolaire en devenir, nous nous sommes limités à un « préambule pour la paix » qui, promu par un Land, apparaît comme une simple question cosmétique en raison d'un manque total de compétence. Un symbole (bien que les symboles comptent parfois, mais lorsqu'ils sont soutenus par la force). Sur le plan matériel, nous verrons.

Il est en effet difficile de prendre position sur des sujets aussi complexes, et pour lesquels la distance prive d'une information détaillée et des clés d'interprétation nécessaires. Je me risquerais cependant à dire quelque chose.

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Il y a deux premiers niveaux, sur lesquels on peut dire quelque chose, et un autre beaucoup plus profond sur lequel il faudrait dire beaucoup.

Commençons par le premier. Dans les Quaderni (6e, 1930-32, 97), il y a un petit et précieux fragment dans lequel Gramsci se demande, à la vitesse de l'éclair, si « il peut y avoir une politique, c'est-à-dire une histoire en action, sans ambition ».

C'est la racine des choses.

Il y a deux termes clés : « ambition » et « histoire en action ». Pour la première, il faut distinguer (Gramsci encore) la « grande ambition » de la « petite ambition ». En effet, si l'on travaille à créer les conditions d'un changement substantiel de la situation, c'est-à-dire à s'élever au niveau de la politique, de « l'histoire en action ».

En d'autres termes, si le parti est mû par une « grande ambition », donc par la volonté de faire valoir des intérêts, il s'ensuit, et nécessairement, que ces intérêts doivent générer sa structure. Mais cela demande du temps et de l'enracinement, cela demande qu'autour du mouvement qui entend s'élever à « l'histoire en acte », c'est-à-dire être « politique » (quel extraordinaire concept synthétique dans la belle langue de Gramsci), un lien social s'épaississe. Ce lien, à terme, « lie » (précisément) toutes les parties de la formation organisationnelle du parti à la grande ambition. Le prix à payer pour ne pas le faire est d'être absorbé « moléculairement » et d'échouer (là encore, un terme utilisé par le nôtre pour expliquer l'échec du Parti d'action du Risorgimento). Mais bien d'autres épisodes pourraient être cités, le mouvement populiste américain du 19e siècle, les Chartistes britanniques, les socialistes de la fin du 19e siècle partout dans le monde, etc.

Autrement, il y a les « petites ambitions ». Celles-ci sont généralement motivées par la précipitation ou la peur de prendre de grands risques. Selon lui, « ce sont de petites ambitions, parce qu'ils sont pressés et ne veulent pas avoir à surmonter trop de difficultés ou de trop grandes difficultés ».

Ainsi, même en partant du principe nécessaire que le choix du parti de Wagenknecht doit être jugé dans la situation donnée, que nous ne connaissons pas suffisamment, le risque est qu'il soit lu par les électeurs eux-mêmes dans cette clé : comme la démonstration que, finalement, il s'agissait d'une question de « petites ambitions ». Et que, par conséquent, il ne s'agissait finalement que de s'approprier un petit coin de pouvoir.

Dans les conditions données de la crise de la démocratie, cette perception pouvait immédiatement détruire une grande partie du patrimoine symbolique que la formation semblait avoir accumulé.

D'où deux ordres de considérations :

- La première, tactique, est que dans l'imminence d'élections nationales décisives, donner cette impression pourrait être le prélude à un échec immédiat (que se passera-t-il s'il obtient moins de 3% au niveau national ?)

- La seconde, stratégique, est que si l'on veut changer le rapport de force dans le pays, il faut une force électorale importante, car le pouvoir qui circule dans la société et qui la constitue n'est pas seulement, ni d'abord d'ailleurs, politico-électoral. L'histoire du Mouvement 5 étoiles le montre bien : alors qu'il avait eu l'intelligence tactique de dire immédiatement après le résultat de 2013 qu'il ne s'allierait qu'avec 51% et qu'il était anti-système, il a eu le résultat de 2018 (qui l'a rendu indispensable) et est entré au gouvernement avec la Ligue (force de droite, certes, mais étrangement perçue comme antisystème) a été réabsorbée presque instantanément par les forces extraparlementaires (représentées par le président de la République, mais aussi par des sphères de pouvoir économico-financier clairement identifiables, ainsi que par l'UE), qui ont toutes immédiatement (entre juillet et septembre 2018) fait remarquer que les changements ne pouvaient se faire qu'à la marge. On connaît la suite.

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La question à poser, plus profondément, est donc : qu'est-ce, en fait, que la démocratie libérale dans laquelle nous sommes ? Qu'a-t-elle toujours été et que peut-elle être ? La démocratie n'est pas du tout ce qu'elle prétend être. Elle est bien plus une technique de filtrage et d'absorption des pressions générées par les tensions sociales résultant de la répartition inégale des ressources et du pouvoir, qu'un moyen de représenter l'insaisissable « peuple ». Ce n'est pas du tout, n'a jamais été et ne peut pas être une forme de représentation du « pouvoir au peuple ». Je ne veux ennuyer personne, mais il existe une abondante littérature scientifique et historique à ce sujet.

Alors, qui veut que quelque chose change en substance ? C'est-à-dire ceux qui veulent que les relations sociales et les rapports de force changent, comment doivent-ils se situer par rapport à ce dispositif disciplinaire ? Et comment participer à son grand spectacle ?

Je ne prône pas une théorie de la séparation (cette tentation récurrente de se réfugier dans la tour, ou l'ecclesia dans le désert). Je propose de prendre au sérieux le fait que ce n'est que si une force existe, avec sa propre culture, ses propres objectifs, ses rites, ses mythes et ses coutumes, qu'elle peut se traduire en institutions faites pour gouverner la différence et la rendre égale et ne pas se perdre dans le labyrinthe.

Mais pour cela, il faut du temps, il faut du courage, de la patience, de la ténacité et de la force, il faut de l'être.

Trop tôt Sahra.

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